« Un homme haut »

Témoignage à l’occasion du Jubilé 2000

« Dis papa, qu’est-ce que ça veut dire un homme haut ? » J’avais à peine 10 ans lorsque j’interrogeais mon père sur le sens des paroles de la chanson d’Aznavour « comme ils disent ». Dans ma tête, à cet homme, on se devait de lui garder sans doute de la considération puisqu’il ne pouvait s’agir que d’un grand homme. J’eux la chance, cette fois-ci, de ne pas m’entendre dire avec brutalité que cela ne me concernait pas et que j’avais d’autres questions à poser. Je constatais néanmoins l’air quelque peu gêné et la colère rentrée sur les traits de mon père. Aussi, je compris qu’il ne fallait pas que j’insiste. Ce grand homme ou cet homme haut, que lui reprochait-on ?

Pourtant, je ne me doutais pas qu’à l’époque, j’avais quelque chose à voir avec la description de ce personnage, puisque dans ma tête de petit garçon, je rêvais d’épouser une jolie fille, d’avoir un métier plaisant et d’habiter une belle demeure. J’avais ^même dit à l’une de mes tantes : « Tu viendras à mon mariage toi aussi ? ». A peu près vers la même époque, j’avais été placé en colonie de vacances dans le Massif Central. C’était l’été. Un moniteur, mignon à croquer, efféminé et timide, était intervenu pour donner son avis au cours d’une veillée. Son accent de midinette en passa pas inaperçu et un de ses collègues lui lança à la face devant l’auditoire réuni : « tata-gouine ». Il le fit scander à la marmaille que nous étions, sans avoir ce que nous disions. Je vis le pauvre garçon s’effondrer et éclater en sanglots. J’ai su à ce moment que nous lui avions fait mal, mais je me demandais en quoi ?

Quelques années ont passé. Mes parents changent de quartier. J’intègre une équipe de choristes à la paroisse sainte Thérèse de Nantes et je tombe fou amoureux d’un de mes camarades. Il a quinze ans, j’en ai quatorze. Amour platonique sans plus. Daniel est hétéro, tant pis pour moi. Et cet amour que je vais lui vouer, va durer des années. Un amour total, absolu. A dix-huit ans, après mes examens, je quitte l’école technique pour rentrer dans la vie active. Je travaille comme vendeur dans un magasin d’électricité où le patron ne rate pas l’occasion de me harceler sur le fait que je manque de puissance physique et qu’il serait bon que j’adopte une attitude plus virile à l’égard des clients (cela va durer quatre ans). La même année, je frôle pour la première fois le milieu homosexuel. J’ai un camarade de sept ans mon aîné, blagueur et homo : il ne s’en cache pas. Alors que je viens de lui avouer mon inclination pour Daniel, il me propose une sortie dans un bar « chez Nie-Nie », là où on peut faire des rencontres…J’emboîte le pas de mon camarade. Mais à peine étions nous installés à une table, le barman, très beau garçon, type méditerranéen, me fit quelques sourires équivoques avec insistance. C’était la première fois qu’un homme me manifestait un intérêt particulier. Il déclencha en moi des émotions si fortes, alors qu’il s’approchait pour nous servir, ému et un peu effrayé, je pris mes jambes à mon cou comme si j’avais eu le diable aux trousses. Appelé pour les trois jours en prévision du service national, le médecin qui tamponna mes papiers militaires s’exclama « bon pour l’armée, bon pour les filles ». En fait, je fus exempté de service actif. Ouf ! Même si j’avais coché la case hétéro sur le questionnaire confidentiel. Tiraillé entre la morale et mes émotions, je compris que l’homosexualité est un était contre lequel on ne peut rien. Il me fallait vivre avec tout ce qui faisait ma nature : « ou tu vis, ou tu meurs » m’étais-je dit. Vingt-neuf ans, l’âge où je me suis enfin accepté. Une de mes amies m’avait transmis les coordonnées de « David et Jonathan ». Premier contact au téléphone et un rendez-vous chez le responsable du groupe. Ne voulant y aller les mains vides, j’avais acheté quelques pâtisseries. Mon coup de sonnette sur le pas de porte me parût interminable. En m’introduisant dans l’appartement, un homme d’allure rondouillarde et au regard inquisiteur se présenta : « Je m’appelle Bernard et suis responsable du groupe ». Chez lui, ils étaient tous au grand complet, ou presque. Il y avait des garçons qui visiblement formaient des couples. Quelque peu embarrassé par ces attitudes libertines, en serrant les fesses, je tendais les gâteaux à Bernard, avec, en tête la petite chanson à Marinette « avec mon petit paquet, j’avais l’air d’un con ma mère… »

J’ai chemin depuis avec D.J. et le seul regret que j’éprouve vis à vis du milieu homosexuel serait sans doute la provocation qui s’affiche lors des « gay pride ». Mes regrets amers vont vers l’Eglise, bien que j’eusse rencontré des prêtres exceptionnels qui m’ont offert une vision aimante et évangélique, avec des bras grands ouverts. Mais quand, dans certains discours, on entend encore perversion, sans oser prononcer le mot qui rend mal à l’aise, qui demandera pardon en notre nom pour le passé et le présent ? Il y a des femmes et des hommes qui ont porté avec héroïsme leur différence. Je m’imagine dans la situation d’un père de famille à qui l’un de ses enfants poserait la question suivante : « Dis papa, de quoi c’est redevable à la société un homo ? »

–          de rien sans doute, lui répondrais-je.

Puis, j’irais dans la bibliothèque prendre un extrait de la vie d’Oscar Wilde ou de Frédérico Garcia Lorca et le lui lirais : « Tu vois, Vincent, c’est ça un homo ! Mais écris le cette-fois comme ceci

UN HOMME HAUT COMME ILS DISENT ».

Michel

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