Sexualité, quelle parole en Église ?

Intervention de Jean-Pierre Rosa lors de la rencontre nationale du 26 mars 2022

Jean-Pierre ROSA auteur de  » La Bible le sexe et nous » / « Libérer la parole »

1 – Une schizophrénie catholique

Cela fait des décennies que les fidèles sont désemparés par l’attitude de l’institution :

D’abord ils lisent dans les textes une volonté de mise sous tutelle de leurs comportements privés qui va contre l’évolution de la société dont ils sont partie prenante.

Ensuite ils constatent qu’il n’y aucune avancée pour les femmes en matière d’égalité dans l’Église sinon des discours qui mettent toujours en avant le rôle de la femme comme épouse et mère. Mulieris dignitatem, un modèle du genre. Plus l’exaltation est grande, plus la mise à l’écart est forte.

Du coup trois attitudes : l’alignement (Rome a parlé, la cause est entendue), le départ, la lente hémorragie des fidèles ou, ce qui est le plus fréquent, la dissidence de fait. Une sorte de schizophrénie catholique Les études sur la sexualité des Français qui se multiplient à partir des années 70 et qui se précisent dans les années 90 avec l’épidémie du SIDA montrent que l’appartenance religieuse n’a pas vraiment d’incidence sur les comportements sexuels des français.

Là-dessus arrivent les affaires de pédophilie de la part de membres de l’institution : ils concernent des prêtres et des évêques qui les couvrent.

Du coup le divorce est consommé et la hiérarchie devenue totalement inaudible. La schizophrénie catholique devient plutôt un signe de bonne santé !

Avec un risque, c’est que la sexualité soit totalement déconnectée de la vie chrétienne. Pire, qu’elle soit vue comme une puissance trouble et incontrôlable qu’il s’agit de tenir à l’écart. On va vers une spiritualité désincarnée, ou culturelle et identitaire. Or la vie affective et sexuelle est tout de même la grande affaire de la vie de la plupart des gens. L’Évangile ne peut pas rester extérieur.

2 – la bonne nouvelle d’Amoris laetitia

Dans ce paysage sombre, une bonne nouvelle, Amoris Laetitia. Non pas forcément par les conclusions du texte mais essentiellement par la méthode. Par deux fois, le pape a fait appel au peuple, laissant les fidèles parler de ce qui les intéresse. Ca n’est pas la démocratie, où le peuple décide des choses qui le concernent, mais une première tout de même. Une volonté de prise en compte de l’avis et de la pensée des fidèles.

J’ai fait partie, dans le second moment, d’une équipe mise en place par le curé et dont la mission consistait à visiter en toute indépendance, le texte des lineamenta. Le groupe comprenait des gens de tous horizons, célibataires, mariés, divorcés, remariés ou pas, homosexuels.

Les réunions ont été intenses, riches, productives, elles ont surtout permis de se connaître et de se connaître sous cet angle très particulier et intime. Et ceci en toute pudeur. Au point que la plupart d’entre nous voulaient, après avoir remis leur copie, continuer cette réflexion commune.

Cela n’a pas été possible pour diverses raisons. Il n’empêche que l’idée qui consiste à se mettre ensemble pour essayer de comprendre comment vivre sa sexualité, son affectivité restait une bonne idée.

3 – le recours à l’Ecriture

Avec Amoris laetitia nous avions un texte martyr qui permettait d’échanger. Mais en fait ce sont les Ecritures qui devraient nous guider dans cet exercice. Le recours à l’Écriture est en effet fondamental pour la vie chrétienne, il s’impose en régime normal tout comme en régime d’exception. Il structure la vie et s’impose comme norme par excellence.  Et l’Écriture est en fait beaucoup plus parlante qu’on ne le croit ou qu’on ne veut bien le dire.

Une mentalité patriarcale, androcentrée et dissymétrique

On peut objecter à cette normativité de l’Écriture le fait qu’il s’agit de textes anciens, marqués par une mentalité qui n’est plus la nôtre.

Oui, bien sûr. L’Ancien Testament – et même en très large part le Nouveau – sont marqués par la société patriarcale et androcentrée qui les a vu naître et qui les a façonnés et qui a été la nôtre jusqu’à récemment.

Dès la Genèse on voit s’affirmer un a priori en faveur de l’homme comme patriarche, comme père. La sexualité est au service de la descendance. C’est le cas avec Abraham (Sarah et Hagar) bien évidemment mais aussi avec Jacob (Léa, Rachel et leurs servantes). Quel est ton père ? D’où viens-tu ? Ce souci patrilinéaire est omniprésent dans toute la Bible (Nombres, Genèse, NT).

Et comme la sexualité est au service de la descendance masculine tout est fait pour le bon plaisir de l’homme. C’est le versant androcentré de la Bible. L’homme est le chef, il est au centre de l’attention, au centre du droit, à son profit bien sûr. La polygamie, le multi partenariat sexuel masculin, la loi du lévirat sont les conséquences logiques de cette prévalence de l’homme et de sa descendance. L’autre conséquence logique c’est la tolérance très grande vis à vis de la prostitution, vue du côté du client et de l’adultère, vu du côté de l’homme. Et la dépendance absolue de la femme vis à vis de son homme. C’est pour elle que la prostitution, l’adultère, l’inconduite sexuelle sont graves.

Le récit de la chute lui-même, fait peser sur la sexualité une dissymétrie, une inégalité. Lorsque Yhvh dit à la femme : « tes désirs te porteront vers ton homme et lui dominera sur toi », nous sommes en présence de ce qui ressemble fort à une discrimination et à une justification de la domination masculine. D’autant plus que le mot convoitise (tes désirs) est employé un peu plus loin lorsque Caïn est aux prises avec la jalousie envers son frère Abel qui le conduira au meurtre : « si tu agis mal, le péché est couché à ta porte, et ses désirs se portent vers toi, mais toi, domine-le. » Ainsi la domination sur la femme comme sur le mal est du côté de l’homme, et la convoitise est du côté de la femme et du péché. Une répartition des rôles qui pèsera lourd tout au long de l’histoire de l’Église.

Mais alors, si ce texte vénérable est si loin de nous, qu’a-t-il à nous dire ? Eh bien justement la première conséquence de cette distance c’est qu’elle ne nous permet pas d’avoir des réponses toutes faites à nos questions et c’est très bien ainsi. En revanche elle nous permet de nous interroger en profondeur, de renouveler nos questions ou nos approches.

Exemple de David avec Urie. Le texte fonctionne comme une tragédie grecque qui indique le mal pour en détourner le spectateur. Même chose avec David, fils ainé de Jacob et Tamar, qui n’a pas eu d’enfant avec Er, Onan et voit le troisième fils de David, Shéla, lui échapper. Elle se prostitue masquée à David et obtient de lui, malgré lui, la descendance attendue. Contre toute morale (inceste et prostitution), c’est bien la figure de Tamar qui ressort comme celle qui reste fidèle à l’Alliance conclue. Il y a une tension dans le texte biblique entre la morale commune, admise et ce que l’on peut se permettre de faire pour un bien supérieur. Cette attitude nous est très lointaine. Elle ne peut manquer de nous questionner.

Une puissance ambivalente à encadrer

Mais cette sexualité qui erre ou qui déborde, qui s’émancipe de tous les interdits, risque aussi de devenir folle et d’aller jusqu’au viol et au meurtre. Les textes qui mettent en scènes des viols ou des tentatives de viol sont nombreux et assez violents. Cela va de Suzanne avec les vieillards en passant par Joseph et la femme de Putiphar, ou les habitants de Sodome qui s’en prennent aux hôtes de Lot. Dans tous ces cas, ce qui est en jeu, c’est la transformation de l’autre en pur objet de consommation, on peut même dire de dévoration. Une réalité que l’on retrouve dans le jardin de la Genèse.

La sexualité apparaît ainsi comme une puissance ambivalente, trouble, qu’il convient de circonvenir. Car si elle est faite pour donner la vie elle peut aussi conduire à la mort et au meurtre. Du coup la sexualité est sacralisée, sanctuarisée dans les catégories du pur et de l’impur, du permis et du défendu dont nous sommes très loin, mais qui permettent, pense-t-on d’honorer cette puissance de vie tout en tenant en respect son aspect mortifère.

Le Nouveau Testament fera la critique de ces catégories parce qu’elles sont injustes, inopérantes et qu’elles brident le développement de la personne comme être libre, responsable et autonome. Jaïre, la syrophénicienne, la femme adultère en sont des exemples types.

Le Nouveau Testament ira même jusqu’à critiquer la sacro-sainte famille biologique, source de tout patriarcat, en la remplaçant par la famille spirituelle de ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. 

Là aussi nous avons des indications précieuses, pas forcément d’ailleurs celles que nous attendions !

Mise en avant positive de la sexualité

Mais il y a aussi dans l’AT une réflexion bien plus profonde sur la sexualité. Et tout d’abord dans la Genèse. Dieu créée l’homme mâle et femelle, à son image, et le texte laisse entendre que la différence sexuelle est le lieu de la ressemblance à Dieu, l’incarnation si l’on peut dire, de cette ressemblance. Mais la différence des sexes n’est pas la différence des genres, celle-ci reste à l’initiative d’ l’homme, de la culture.

Nous avons aussi un autre texte où la sexualité est mise en avant, c’est le Cantique des Cantiques, le chant au superlatif. C’est aussi le seul, dans tout l’AT, où le mot convoitise (les désirs), que l’on a vu apparaître dans le Genèse est employé. C’est le  « Je suis à mon bien-aimé et ses désirs se portent vers moi. ». Inversion totale : la convoitise est devenue heureuse, elle est dite par la femme et est attribuée à l’homme. En fait tout le Cantique des Cantiques se présente comme un contrepoint de la Genèse. L’érotisme y est clairement affirmé et rattaché à Dieu même, la sortie du jardin n’est pas un malheur, comme dans la Genèse mais tout au contraire une libération heureuse, le lieu de l’union à l’autre. Bref les deux textes sont en tension et favorisent une vision plus large de la sexualité que celle qui est couramment admise.

Un mot enfin sur l’Alliance qui fait tout reposer sur la parole donnée. Elle plonge ses racines dans la Genèse mais on la retrouve dans l’histoire de David et Jonathan qui est à la fois l’histoire d’un pacte et d’un amour. À la différence du contrat qui fixe les termes de l’accord sans rien laisser au hasard, l’Alliance, par la parole donnée, ouvre l’avenir. Figure biblique essentielle, elle sera utilisée tout à la fois pour dire l’union conjugale, politique et divine. Attention, elle reste marquée tout de même par l’inégalité entre hommes et femmes.

4 – la nécessité d’échanger, de parler ensemble. (Libérer la Parole).

L’Écriture est ainsi à la fois une norme et un cadre. Elle nous donne bien des pistes.

Interdit de la dévoration de l’autre,

Insistance mise sur la promesse, l’Alliance, le « pour toujours »

Mise en avant de la différence comme lieu de la ressemblance à Dieu, appelant ainsi à une ouverture vers le dissemblable, une fraternisation qui n’est jamais finie,

Insistance sur la dynamique de l’autonomie de la personne. Et donc respect de la conscience.

Mais pour autant la Bible ne délivre pas de norme moralisatrice, elle n’enferme pas dans un cadre étouffant. En nous contraignant à l’interprétation, elle nous invite au débat, à l’échange, au partage.

À nous, simples baptisés, de nous emparer de ces trésors et de les faire vivre. La parole de Mathieu : « là où deux ou trois sont unis en mon nom, je suis là au milieu d’eux », s’applique particulièrement bien à cet exercice. Jésus ne dit pas deux ou trois clercs, deux ou trois théologiens, deux ou trois psys. Non, deux ou trois, c’est tout. La seule condition qu’il pose à sa présence, c’est que nous soyons réunis « en son nom », c’est à dire en vue de faire sa volonté, de vivre selon l’Évangile. Il y a là tout un programme qui peut permettre aux laïcs, aux baptisés, de faire la vérité sur ce qu’ils ont à vivre en ce domaine.

On parle souvent de la communauté chrétienne comme lieu théologique. Eh bien prenons cette affirmation au sérieux. S’il y a là un lieu théologique, il est important qu’il soit vécu comme tel, qu’il soit vu comme tel et qu’il trouve les formes de son expression.

Bien sûr les communautés sont diverses, foisonnantes et les lieux théologiques risquent de se multiplier au risque d’un certain relativisme. D’abord est-ce si sur et en plus pourquoi pas ?

Car s’il y a bien de grandes lignes directrices, de grands interdits structurants, il n’y a pas de prescriptions extérieures aux personnes. Chacun a son histoire et son parcours.

On peut penser que, de cette pratique pourra naître une autre manière de voir et de comprendre notre vie affective et sexuelle.

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