« Tu as du prix et je t’aime »

Témoignage à l’occasion du Jubilé 2000

Ne crains pas car je suis avec toi, ne te laisse pas émouvoir car je suis ton Dieu… Je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi. Si tu traverses les eaux, je serai avec toi, et les rivières, elles ne te submergeront pas. Si tu passes par le feu, tu ne souffriras pas, et la flamme ne te brûlera pas…car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » Isaïe 41,10-43,1-4.

Ces paroles de la Bible m’ont permis de survivre durant tous les temps de tempête.

A 18 ans, j’ai pris conscience que j’étais homosexuel. Ce fut terrible car à mes yeux, c’était une « anormalité » que je voulais faire disparaître de ma vie. Elle était plus pressante, alors j’ai voulu en finir. Ce suicide manqué m’a décidé à mettre « le couvercle » sur cet abîme et à continuer mon engagement vers la vie religieuse. Je n’en ai pas parlé à l’époque sauf, à mots cachés, à un frère que j’appréciais beaucoup. Il m’avait dit que Dieu m’aiderait à vivre cela…

Et c’est vrai que jusque vers la trentaine, à la « force des poings », j’ai réussi à vivre presque en paix avec moi-même, avec toujours la « politique de l’autruche ». Ce que j’avais enfoui, petit à petit comme une pression intérieure, est revenu à la surface et ne me quittait plus. Une période de 10 ans va s’écouler avec ses envies de disparaître, avec cette « défonce apostolique » près des jeunes et surtout près de ceux qui étaient en difficulté, marginalisés : monde de l’école, accompagnement près de jeunes adultes en prison, rencontre de Bruno, sidéen que j’ai accompagné jusqu’au bout…et la rencontre de jeunes homosexuels profondément blessés par la maladie qui les rongeait et cette détresse, souvent, de ne pas avoir pu dire cette part de leur vie à leur famille.

Pour les gens qui vivaient autour de moi, j’étais le « mec génial », toujours à l’écoute des détresses…mais qui écoutait les miennes ? Qui se penchait pour me tendre la main ? Personne ne le faisait, la façade extérieure était bien, propre et nette…mais à l’intérieur tout se lézardait. Je mourais petit à petit tout en essayant de me fuir. Même Dieu, je le pensais loin de moi, incapable de me rejoindre dans la détresse.

Un ami (un frère) de toujours est venu lors de mes 40 ans et m’a dit cette parole qui a commencé à fissurer la « façade » et permettre à la source de « rejaillir » : « Jacques, pour ton anniversaire, je t’offre un cadeau, celui de la délivrance intérieure ! Je te vois souffrir à tes propres yeux malgré tout ce que tu fais. Cette souffrance, elle a un nom : homosexuel. C’est ta différence et ta richesse ! Accepte de la regarder sinon tu ne peux plus vivre. »

Ce fut de la dynamite. En quelques secondes, j’ai pu enfin confier à quelqu’un ce fardeau qui tentait de m’emporter depuis des années. Grâce à lui et à un ami psychiatre chrétien, j’ai accepté de voir la réalité en face et à me laisser regarder autrement. Peu à peu, j’ai accueilli ce que j’étais et que cette réalité ne changeait rien de ce que je pouvais vivre près des gens.

Après une année où j’ai pu tout « remettre à plat », dans le cadre d’une année de rénovation, j’ai pris la décision de me retirer de la vie religieuse pour vivre en paix avec moi-même. Pour moi, c’était le meilleur chemin où je pouvais continuer à vivre en tant qu’homme et enfant de Dieu. J’ai retrouvé la paix et la confiance en moi-même, en Dieu et en mes frères, les hommes.

Je suis rentré dans une association « Contact » qui permet aux familles de se dire ce qu’elles vivent à travers l’homosexualité d’un de leurs membres. Ce partage entre parents, jeunes, personnes mariées est très riche et permet à beaucoup de retrouver goût et confiance en la vie.

J’ai la chance d’avoir pu le dire à mes parents, chose qui semblait indispensable puisque je les aime profondément, ainsi qu’à mes sœurs. Même si pour mes parents il y a des choses qu’ils ont du mal à comprendre par leur éducation morale et chrétienne, ils ont cheminé parce qu’ils m’aiment réellement.

Depuis un an, quelqu’un partage ma vie. Nous partageons beaucoup de choses, dans tous les domaines et sur celui de la foi, tout particulièrement.

J’ai l’impression de faire réellement partie de cette famille, bénie de Dieu. Je constate souvent que l’Eglise chemine lentement, et qu’il lui faut du temps pour accueillir les différences. En cette année jubilaire, le pape a invité l’Eglise à demander pardon pour ses erreurs, ses blessures…Quand le fera-t-elle vis à vis de ses enfants homosexuels. Et nous, quelle parole désirons-nous lui dire ?

Nous aussi, nous écrivons les actes des apôtres d’aujourd’hui et souvent, à travers la plume de la souffrance, de l’impression d’exclusion ou d’indifférence, nous sommes pierres vivantes de cette Maison de Dieu.

Jacques

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