Le critère de la procréation biologique ne peut être le seul critère de fécondité, d’épanouissement ou de serviabilité sociale. Ne dit-on pas des prêtres et des religieux qu’ils ont une fécondité spirituelle ? Un couple marié sans enfants peut avoir également une fécondité : « Il ne peut en effet y avoir de stérilité dans le mariage chrétien, appelé à se faire service d’amour à tous les petits, les pauvres et les marginaux. Les époux seront “père” et “mère”, qu’ils aient des enfants ou non (sic) ; ils sauront se montrer disponibles au service de l’Église et de la société. »[1]
C’est d’ailleurs ce que le Catéchisme reconnaît pour les couples stériles : « Les époux auxquels Dieu n’a pas donné d’avoir des enfants, peuvent néanmoins avoir une vie conjugale pleine de sens, humainement et chrétiennement. Leur mariage peut rayonner d’une fécondité de charité, d’accueil et de sacrifice » (Catéchisme n° 1654).
Pourquoi alors refuser les couples homosexuels en invoquant la non fécondité ? Ils sont féconds ou créatifs mais différemment. La fécondité s’exerce aussi dans l’ouverture à l’autre, aux autres. Ils peuvent être très présents et « en service » dans l’Église et la société quand on les y accueille. Le travail, l’engagement communautaire, l’accueil des pauvres et des malades, le soutien mutuel dans la vie de couple, la pastorale, le souci de la planète, l’adoption, la création artistique, la recherche scientifique… constituent autant de voies pour créer, donner et servir ses semblables. Être fécond dans le don de soi à l’autre, c’est aussi tout cela.
Les homosexuels qui ont choisi de vivre en couple peuvent se soutenir, s’entraider, s’encourager dans la réalisation de projets communs ou du projet de l’un ou l’autre conjoint. Par leur amour, leur attachement et leur engagement dans une cellule familiale, un groupe d’amis et d’autres communautés, ils apporteront leur contribution à la société où l’être humain sera respecté et reconnu dans son intégralité.
À leur manière, ces personnes présentent des visages de l’amour du Dieu de Jésus-Christ, avec lequel naît une nouvelle conception de la fécondité. Jésus vient bouleverser l’ordre logique de la fécondité : l’homme n’est plus fécond parce qu’il engendre, il est fécond parce qu’il se reconnaît comme appartenant au Christ. Ce passage de l’évangile selon St Jean nous montre que la fécondité, c’est accomplir le commandement d’amour de Jésus, c’est-à-dire, en fait, entrer dans la communion d’amour de Jésus et de son Père, se laisser approcher par Dieu, devenir son intime, son ami. Cet amour va jusqu’à se dessaisir de soi-même. Jésus a poussé cette dépossession de soi jusqu’à mourir sur la Croix, et c’est la Croix qui assure sa fécondité « à l’extrême » : « Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance » :« Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. […] Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. […] Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Jean 15, 1-4.12.16).
Entrer dans la fécondité, ce n’est donc plus vivre pour soi, c’est vivre pour d’autres. La fécondité selon le Christ, c’est le don de soi, une mort à soi-même et une résurrection. Elle dépasse infiniment nos limites humaines. Elle s’opère, non selon une volonté humaine, mais dans une libre consécration de nos actions à Dieu, elle est don de Dieu. La véritable fécondité chrétienne n’est pas liée d’abord au fait d’avoir des enfants, mais à l’accomplissement en nos vies du Royaume.
Les personnes homosexuelles sont ainsi appelées à entrer d’emblée dans le dynamisme de l’alliance de la vie en Christ, et à aimer comme le Christ nous a aimés.
Toute relation d’amour est une ouverture à l’autre et porte ses fruits. « L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite. Il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit: son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer » (Sermon de St Bernard sur le Cantique des Cantiques).
Claude Besson
[1] Stefano De Fiores et Tullo Goffi (sous la dir), Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Ed Le Cerf, 1987, p.417.