Se bâtir une « vie bonne »

« SE BÂTIR UNE « VIE BONNE », AU PLUS PROCHE DE SOI »(Paul RICOEUR)
Récit poignant d’une vie (Témoignage octobre 2013)

 On peut vivre sa foi et être homosexuelle -et que cela soit bon.
JE N’AI PAS CHOISI d’être homosexuelle. C’est certain.
AI-JE CHOISI D’ÊTRE CHRÉTIENNE? Je ne sais pas. Le Christ m’a saisie à 9 ans, à 14 ans…et toute ma vie…je me suis laissée saisir.

Ma vocation d’amour aujourd’hui est différente mais non inférieure et toujours sur les pas du Christ. Avant de dire cette parole avec sérénité, j’ai eu un chemin difficile qui n’a abouti au bonheur qu’à l’âge de 46 ans, je parle ici du bonheur de la vie amoureuse, celle à laquelle aspire tout être humain.

Le bonheur de la VIE, je l’ai depuis toujours. Le « sens de ma vie », je l’ai ressenti très jeune. Aimer Dieu et Aimer les autres étaient mes valeurs suprêmes. Etre dynamique, généreuse, joyeuse; soigner et servir étaient mes choix idéalistes et passionnés; le guidisme avec sa promesse fabuleuse, les pèlerinages à Lourdes (à vélo si possible, c’est plus fort!) à Czestochowa, 270 kms à pied, le métier d’infirmière… etc…

Servir, Aimer, Louer, Vivre, Donner, Aider. Toutes les retraites spirituelles, tous les livres, toute mon éducation par rapport à la sexualité n’avaient qu’un seul discours: « La sexualité est un péché, sauf dans le mariage »

L’homosexualité? Une « abomination ». Et de toute façon, ces années-là, « ça n’existait pas » et si on parlait de « ça », c’était du bout des lèvres sans prononcer le mot. Moi compris. C’était tellement « anormal et pervers »!

Et surtout, ce n’était pas dans le « plan d’amour de Dieu ». Avec cette phrase (terrible) j’ai refoulé sévèrement et gravement toute idée de sexualité, mille fois plus l’homosexualité. Bien scellé pour la vie, le barrage mental!

Je prenais ma « non-attirance » envers les garçons, pour le rejet de la sexualité en général, une seule certitude transpirait de ma réalité cachée: « Je ne marierai jamais! » Cela, je l’affirmais, sans pouvoir expliquer davantage.

Mes lettres d’amour, c’était pour mes amies, mes élans amoureux, c’était toujours pour mes amies. J’appelais ces passions mes « amours d’amitié » et j’étais fière d’avoir la « vocation de l’amour d’amitié »! Cependant, d’année en année, être amoureuse devenait de plus en plus douloureux, je ne comprenais rien à ces souffrances d’amour inachevé. POURQUOI TANT D’AMOUR ET POURQUOI NE POUVOIR LE DONNER?

Les quelques étreintes amicales avec mes amies me laissaient dans un bonheur et une explosion de souffrance sans réponse. Je ne pouvais nommer ni mon amour ni ma souffrance, je n’avais pas connaissance de ces sentiments-là, de ces gestes-là…

Toutes mes émotions me faisaient « rêver l’amour » sans que je puisse jamais comprendre imaginer un seul instant, que cet état amoureux inexplicable et irrationnel, célébrait justement cet état homosexuel qui, latent, ne vivait que par soubresauts, à la fois heureux et dramatiques.

TOUTES MES AMIES SE MARIENT, ONT DES ENFANTS….ET MOI? Moi…j’ai la vocation du service et de l’amour et j’aime Dieu. « Rien ne peut m’arriver puisque Dieu m’aime » dit le psaume. Je me suis alors lancée dans une période de 10 ans de soins à domicile, m’épuisant au service des malades, ne comptant ni ma santé, ni mon temps, ni mon argent, refusant les sorties et les plaisirs, choisissant de VIVRE L ÉVANGILE EN « CONTRADICTION DU MONDE », comme nous demandait et l’Eglise et le Christ.

J’étais tellement en contradiction du monde que mon univers ne comprenait plus que les malades et l’église…le sport…les autres.
Mon corps? Du moment qu’il est robuste pour servir, il n’a pas d’importance! JE n’ai pas d’importance.

Je vivais sur toutes les routes, toutes les saisons, toutes les fêtes, toutes les époques de ma vie, pour les autres, à partir des autres, vivant ainsi par procuration, leurs bonheurs, leurs malheurs, leurs naissances, leurs morts, je vivais SANS MOI, HORS DE MOI.

Mais on ne néglige pas impunément son être. Le corps parle et souffre et tombe malade, mais je ne l’ai pas écouté. Je ne m’écoutais pas. (« Avec Dieu, tout est possible…Acharne-toi donc dans ta vocation, ma fille! Continue! »).

J’étais épuisée, insomniaque, surmenée, inexistante. A 38 ans, avec mon amie de l’époque, nous avons participé au pèlerinage à pied vers Notre-Dame de Czestochowa en Pologne. Nous avons marché 900kms côte à côte et je l’aimais -sans comprendre qu’il s’agissait d’amour.

Jamais je n’oublierais cette tragique souffrance d’être couchée à ses côtés sous la tente et de pleurer toutes les larmes de mon corps en osant prendre sa main dans la mienne. « Tu es épuisée » m’a-t-elle dit. Oui, j’étais épuisée, ÉPUISÉE DE SOLITUDE ET DE TOUS CES MANQUES (Qu’il est terrible d’aimer toute sa vie, sans pouvoir toucher l’être aimé) N’importe quel psychologue aurait compris si j’avais raconté mon désespoir… mais je n’ai rien raconté et je n’ai rien compris!
ALORS J’AI BASCULÉ. Dans le non-sens et la désespérance… mon corps épuisé, cassé de ce service démesuré, ma tête affolée, mon âme triste à mourir…cette âme que j’aurais vendue pour un baiser!

C’est dans cette détresse et ce mal-être, ce « mal à moi » qu’un « gentil garçon » est arrivé. Je lui ai dit que je n’étais pas à l’aise avec « les hommes ». « Tu n’as probablement pas rencontré un garçon gentil » m’a-t-il dit. J’étais si seule, si mal, j’ai accepté: au bout de six mois nous étions mariés.

JE ME SUIS MARIÉE PAR DÉSESPOIR, PAR SOLITUDE, PAR DÉPIT, PAR DÉFAUT. Mariée car c’est le seul chemin « permis » et juste, le seul chemin proposé par l’Église pour vivre à deux.

Mais dans l’alliance parfaite homme-femme-Dieu, j’ai vécu une désolation. J’ose dire le mot, j’ai vécu une ABOMINATION! Ce fut un mariage de mort. Une relation contre-nature. Contre ma nature.

Pour reprendre les mots du catéchisme, je subissais et vivais des « ACTES DÉSORDONNÉS » et j’étais en pleine DÉVIANCE! Voilà ma réalité! Etais-je dans le » plan d’amour de Dieu » en essayant en vain de réaliser une vie de couple complètement contre moi-même?

« La différenciation sexuelle est source d’un amour fécond ». Rien ne pouvait naître de ce faux mariage, de ce pseudo-amour, de cette erreur! Au contraire… tout allait vers la mort et…. j’étais en plein péché!
Péché contre MA FÉMINITÉ (Devenue obèse, perdant mes cheveux, m’habillant négligemment)
Péché contre L’ESPÉRANCE (Je restais fidèle à la messe mais avait perdu toute joie, tout espoir).
Péché contre LA FÉCONDITÉ DE MA VIE (J’étais anéantie et incapable de « faire naître » autour de moi)
Péché finalement CONTRE LA VIE, car j’ai tenté le suicide, en écrivant sur un bout de papier « Je suis incapable d’aimer, je vais mourir pour aller au ciel ». Moi la douée pour aimer tout le monde…Moi l’amoureuse de Dieu, des autres, de la VIE… faire cela! Écrire cela!!

« HOMME ET FEMME DIEU LES FIT »… Je n’étais pas une femme, je n’étais plus qu’une infirmière, catholique-pas à sa place! Mon amie, mariée, me consolait: « Ma pauvre Sophie, tu n’as jamais eu de chance en amour » alors que mon chagrin d’amour, c’était elle!

A 42 ans, après 5 ans de « fidélité », c’est une femme qui m’a libérée de cette situation inextricable. Malgré ces années de « mariage » faux et douloureux, je n’avais pas encore compris mon identité! Un jour, elle m’a embrassée et j’ai tout compris. D’un coup, « l’écaille est tombée de mes yeux ». J’ai enfin FAIT LE LIEN entre l’amour intouchable de toutes les femmes que j’avais aimées et l’amour véritable et RÉALISABLE de deux femmes qui s’aiment! C’était donc cela ma vérité!

MA LIBÉRATION FUT SPECTACULAIRE! J’ai perdu 25 kgs, mes cheveux ont repoussé, je me suis libérée de ce mariage mortel (qui fut aussi libérateur pour mon « mari » déculpabilisé de savoir qu’il n’était pas en cause). Je me suis enfin et définitivement sentie FEMME, j’étais MOI ENFIN MOI, unifiée, identifiée.
La joie, l’équilibre, la sérénité qui m’habitaient étaient la plus belle des louanges au Créateur!
Chacun(e) porte en lui (elle) un mystère qui le dépasse. A chacun(e) de faire de ce mystère un TALENT et de le recevoir comme une grâce. « Homme et femme Dieu les fit ». ENFIN J’ÉTAIS FEMME et mon Amour pouvait enfin respirer plutôt que me suffoquer!

Rien ne changeait à MA MISSION DE BAPTISÉE: « être le sel de la terre et la lumière du monde ». Ce n’est pas parce que j’avais compris et accepté (enfin) mon homosexualité que j’étais devenue quelqu’un d’autre, j’étais « devenue moi »! Mais les autres, mais Dieu? Allaient-ils m’aimer aussi?

C’est en rencontrant d’autres femmes homosexuelles catholiques que j’ai pu libérer mon âme de ses dernières culpabilités. « C’est ainsi que Dieu se réjouit infiniment de toi ». « Sois toi-même ». Grâce à ces rencontres j’ai enfin associé ma foi chrétienne et mon homosexualité, mon esprit et mon corps. C’est la division qui rend malade!

En fait, l’Eglise n’interdit rien. Elle dit ce qui est bon pour nous! !! L’Eglise nous propose « la continence » car elle sait ce qui est bon pour nous…? QUELLE LOI CRUELLE ET VIOLENTE! Était-ce bon pour moi ces 5 ans de mariage avec ses « actes sexuels féconds »??? Un jeune (entendu sur RCF) a même osé dire « Avec Dieu, tout est possible, on peut rentrer dans un schéma hétérosexuel si on prie ». Sans commentaire!
Pendant des années j’ai ressenti beaucoup de colère. L’Eglise M’AVAIT MENTI ET VOLÉ TOUTE MA VIE AFFECTIVE ». La sexualité n’est pas un péché! C’est ce qu’on peut en faire qui peut en devenir un! La vivre AVEC DES VALEURS appartient à tous.
La sexualité vécue dans l’amour et l’attention à l’autre, le respect de sa place, est une fécondité. L’HOMOSEXUALITÉ N’EST PAS UN Péché.

Nous pouvons être pécheurs dans la façon de vivre notre sexualité exactement comme un hétérosexuel peut être pécheur dans sa façon de vivre la sienne. Un mari qui viole sa femme en est un exemple douloureux.
Le seul fait d’être homosexuel(le) ne fait pas de moi un pêcheur, une pécheresse! Dès que l’Église dit séparer « le pécheur du péché » pour exprimer qu’elle ne nous condamne pas, elle nous condamne déjà! « Respectons la loi NATURELLE, sinon ce sera le chaos… » Oh! Oui, respectons la loi NATURELLE, celle qui conduit du plus profond de SOI, vers le bonheur et l’épanouissement!

Aujourd’hui je n’ai plus de colère (même si je pense toujours la même chose). Ma compagne, que j’ai rencontrée à 47 ans, elle aussi en raison de son âge, a connu le même combat, celui d’être à la fois catholique et homosexuelle. Est-ce la norme de commencer une vie amoureuse à la ménopause?

Je n’ai plus de colère mais je reste mal à l’aise dans mon Eglise. Mal à l’aise aussi avec mes ami(e)s homosexuel(le)s qui rejettent l’Église. Je suis des deux appartenances, mais en vivant difficilement ma particularité dans ces milieux différents. JE RESTE FIDÈLE À L’ÉGLISE CAR JE NE VEUX PAS LA RÉDUIRE À « UN DE SES ACTES » COMME ELLE LE FAIT AVEC NOUS. Elle est plus que ses actes et si elle nous maltraite (même avec des mots gentils) elle est plus que cela!
L’Église est un peuple de baptisés et j’en suis! Personne ne pourra me priver de Dieu! Nous n’avons pas À CHOISIR entre CE CRUEL DILEMME: « AIMER UN ÊTRE HUMAIN OU AIMER DIEU ». Trop en sont morts, trop se sont suicidés à cause de ce dilemme justement, à cause de phrases et d’attitudes assassines! Jamais je n’oublierai ce père, à l’enterrement de son fils homosexuel, dire et lire devant toute l’assemblée à l’Eglise: « Je te renie mon fils, jusqu’ici »
Mon homosexualité (pas d’autre terme que ce mot réducteur et l’appellation « lesbienne » n’a pas de sens -nous ne sommes pas des habitantes de Lesbos en Grèce!) N’EST PAS UNE « PRATIQUE » C’EST TOUTE UNE PART DE MON IDENTITÉ. J’ai vécu 43 ans en la méprisant et j’ai failli en mourir.

Aujourd’hui, cette part de mon identité m’ouvre à ma dignité, mon unicité, mon entièreté et mon unité. Mon évolution psycho-spirituelle depuis, associée à la vie à deux, a remplacé la blessure par le bonheur. Je suis féconde de cette fécondité que nous avons tous et toutes lorsque nous bâtissons une « VIE BONNE AU PLUS PROCHE DE NOUS-MÊMES ».
Merci de m’avoir lue.

Sophie

 

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