Lors de la dernière rencontre nationale de Réflexion et Partage en mars 20149, nous avions invité Yolande du Fayet de la Tour, Psychothérapeute, Présidente de la Société des Coachs et Consultants Gestaltistes.
Nous vous donnons ci-dessous l’intégralité de son intervention. En préliminaire, Yolande, en raison de son parcours comme assistance sociale ayant rencontré des personnes atteintes du VIH, et ayant fait l’expérience de l’exclusion et de la honte dans sa vie personnelle, se trouve donc en parfaite compréhension des problématiques soulevées par l’homosexualité/l’homophobie et nous partage sa tendresse particulière pour les personnes homosexuelles. Ses références sont René Girard (anthropologue et philosophe), Mélanie Klein (Psychanalyste), ainsi que Paul Ricoeur et Lévinas (philosophes) en ce qui concerne l’altérité.
La violence :
Les différents regards portés sur la violence qu’ils soient psychologiques, philosophiques, sociologiques, politiques, religieux ou spirituels témoignent tous d’un phénomène inhérent à l’homme depuis la nuit des temps.
L’une des premières violences est de croire que tout le monde est bon. L’idéalisation du bien empêche d’accompagner la souffrance.
Il est important de bien différencie l’agressivité et la violence.
L’agressivité c’est la pulsion de vie qui nous fait avancer et marquer son territoire.La violence c’est celle qui ne tient pas compte de l’autre, c’est l’énergie de l’absurde, de l’incompréhensible et de l’annihilation de l’autre que ce soit physiquement ou psychiquement. Quand je ne veux plus entendre les arguments de l’autre, je suis dans la violence. Il faut pouvoir dire « je suis » pour ne pas être la projection de l’autre et parfois en devant utiliser la colère pour marquer son territoire.
La violence remonte à notre naissance. Mélanie Klein : « Au départ de la vie, n’est pas l’amour, mais la haine ». La haine est une force de destruction qui va dans le sens de la privation et de la mort
Pourquoi ? et quand ?
On a beaucoup idéalisé le bien être du bébé à l’intérieur du ventre de sa mère. Hors sortir de cette matrice qu’est le ventre de la mère est une expérience douloureuse de destruction. Le bébé est dans la fusion et la séparation est douloureuse. Puis au début de la vie, le bébé fait l’expérience de la faim, du froid etc… et expérimente qu’on ne tient pas compte de ses besoins. C’est donc inconfortable pour le bébé.
Deux possibilités apparaissent : fusionner (se coller) ou pousser l’autre dehors, s’extirper de l’autre.
La projection sur l’autre est un mécanisme qui permet de se débarrasser de la violence (on le retrouve dans les cours d’école avec l’expression bien connu « c’est celui qui dit qui l’est »).
De cette projection sur l’autre, dans une société hétéro normée, il y a une violence implicite pour les personnes homosexuelles.
Yolande nous rappelle le complexe d’Œdipe, concept central de la psychanalyse : tentative de séduction et de séparation. C’est de l’agressivité (et parfois de la violence) au service de la prise de conscience d’un autre. On rompt avec l’égo centrisme avec l’introduction d’un tiers. Lacan parle de la castration, barrière à la toute puissance nécessaire pour introduire l’altérité et donc la vie en société.
Or, il faut se nourrir de nos différences pour pouvoir se rencontrer.
Mouvement du même et du différent : autant de violence à être collé que séparé.
Il peut donc exister un sentiment de jalousie et de fusion :
La personne hétérosexuelle peut être dans la jalousie et ne souhaite pas la personne homosexuelle obtienne les mêmes droits (cf les manifs pour tous suite à la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe). La revendication du même inquiète. C’est là qu’agit ce que René Girard appelle le désir mimétique qui peut être destructeur.
La personne homosexuelle peut être dans le mimétisme. Je mime le désir de l’autre et je veux les mêmes droits, voulant se sentir aimé comme les autres.
La société et l’Église établissent des normes différentielles pour mettre en échec cette violence mimétique qui pourrait mener à l’indifférencié, au chaos, à une fusion destructrice.
L’altérité, c’est accueillir l’étrangeté de l’autre et c’est un travail difficile pour chacun.
La violence, c’est l’échec des mots. Pour avancer, il est important de voir à quel moment j’ai de la violence. Qu’est-ce qui la fait émerger? Le mépris, l’ignorance, les stéréotypes, etc…
Les études de genres, par exemple, amènent à revoir nos stéréotypes et à réviser la place de l’homme et de la femme dans l’église et la société. À ce sujet, Yolande fait référence au livre de Maud Amandier et Alice Chablis « Le Déni, enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes« . L’assignation de rôle pour la femme par les hommes est une violence. D’où l’importance de réfléchir sur cette vision essentialiste de l’autre.
Toutes les formes de violence remontent à des blessures qu’elles soient personnelles ou collectives et sont liées au sentiment d’abandon, d’exclusion, de manque de reconnaissance. Ne taisons pas notre violence, occupons-en nous.
Le malentendu entre l’Église et le thème de l’homosexualité.
L’Église, avec la loi naturelle, emprisonne la vision du monde sur la sexualité et essentialise les rôles donc fige.. Il y a violence parce que l’Église donne trop de valeur au couple biologique.
Il est important de se poser les questions de la valeur de la sexualité pour elle-même. Valeur de la procréation : Oui, mais survaloriser cela, c’est violent. Aujourd’hui, heureusement, on s’ouvre à la fécondité.
Vouloir définir ce qui est bon pour les autres dans ce domaine, c’est violent.
La pédophilie ?
il est violent pour les personnes homosexuelles que certains ne fassent pas la différence entre homosexualité et pédophilie assimilant des personnes qui n’ont pas choisi leur orientation à des criminels (ce que sont en réalité les pédophiles)
L’une des raisons, c’est le manque d’exercice de l’altérité dans l’intimité pour les prêtres, ce qui entraîne un manque de progression psychique et peut donc aboutir à une immaturité psychique. Dépression ou alcoolisme peuvent en être une des conséquences.
La sexualité et la génitalité font partie de la progression humaine car elles mettent au travail l’altérité ce que l’entre soi ecclésial altère durablement. Il est parfois surprenant de constater que ceux qui dénient le plus les capacités d’altérité aux gays sont justement des hommes qui ne font quasiment que pratiquer l’entre soi. L’Église est tout de même une grande institution à dominante homosexuelle puisque les femmes y sont peu présentes dans les instantes décisionnelles.
Il y a une influence machiste de l’Église sur la sexualité. On réduit l’expérience à une norme. Ainsi, on décolle du réel et c’est violent.
L’autre n’est pas mon complément mais, un supplément d’âme. Dans toute relation, il y a du même et du différent mais ce n’est pas au même endroit.
La honte est différente de la culpabilité.
La honte est par rapport à ce que je suis.
La culpabilité se situe par rapport à mes actes.
Par rapport à la honte, je suis impuissant. En effet, je ne peux pas décider d’être beau ou pas beau. Je ne peux rien changer à ce que je suis. Et face à l’autre je suis tout petit et impuissant.
J’ai donc besoin de l’autre. Dans la société hétéro normée, on a créé une sorte de moins-value en ce qui concerne les personnes homosexuelles. Ceci tant à rendre le sujet inexistant.
Et il est fort probable que dans certaines familles, vis-à-vis de la honte d’une personne homosexuelle, la facilité est d’aller vers le séminaire ou la vie religieuse. Pour garder le lien avec sa famille par exemple et ne pas se séparer, on se coupe de soi-même.
Insister sur le fait que l’homosexualité rassemble du même est une « hérésie ». Même des jumeaux ne peuvent être les mêmes. Le dire est souvent une survalorisation de la ressemblance biologique.
Comment peut-on réparer ce sentiment de honte ?
Par la parole tout d’abord (d’où l’importance des groupes de parole)
En réparant le lien social
En intégrant un groupe d’appartenance (une association par exemple) : la honte touche au sentiment d’appartenance. L’association ou le groupe d’appartenance répare de la honte et met la personne dans un sentiment de sécurité, sous protection en quelque sorte. C’est dans cette appartenance, par le lien fraternel qu’on peut réparer la mésestime de soi.
Face à l’homophobie
- Accueil inconditionnel : avoir un cœur ouvert. Arrêter de savoir à la place de l’autre. Et exprimer que je suis curieux de l’autre. Accueillir que l’autre puisse nous détester. Il a besoin de rejeter à l’extérieur ce qui lui fait mal. Le faire s’exprimer. Reconnaître aussi la part violente qui est en moi et aussi dans l’autre.
- Travailler sur l’effet miroir : ne pas porter de jugement. Cela te met en colère, je le comprends. Renvoyer en miroir en prenant en compte ce qui se passe en l’autre. Essayer de faire réfléchir sur les conséquences du discours homophobe en termes de fraternité.
- La confrontation fait partie de la relation, il faut l’accepter. Savoir dire aussi : je ne suis pas d’accord. Ce que l’on peut offrir à l’autre, c’est notre spécificité.
- Prendre en compte les peurs de l’autre et les miennes. Plus on va reconnaître notre part d’ombre, plus on va comprendre l’autre. Moins on a peur et moins on contrôle l’autre. Accepter que le chemin soit long.
- Le rejet de l’autre, c’est aussi le rejet de nous-même. Abstenons-nous. Nous ne ferons pas progresser le dialogue avec du rejet ; donc essayons de maintenir le lien sur un autre sujet, d’une autre manière que sur des idées ou des idéaux.
- Dialoguer et accueillir l’authenticité.
- Cultiver l’empathie (accepter les limites de l’autre) et la fraternité
Exemple par rapport au mariage pour tous : Je comprends que tu ne sois pas d’accord, mais cela ne justifie pas la violence verbale. L’Église gagnerait à avoir des textes qui interrogent et non qui dise ce qui est bon ou mauvais.
Par rapport à la sexualité : s’offrir sans prendre. Accueillir l’autre sans l’utiliser.
La chasteté, c’est la relation qui se tisse à l’occasion de la sexualité.
Mon envie, mon rêve serait que l’Église revoit sa vision sur la sexualité. La vision hétérocentrée qui prend l’autre pour une complémentarité n’est pas assez ouverte. Survaloriser la procréation (utile aux premiers temps bibliques, beaucoup moins aujourd’hui) alors que développer le concept de fécondité est beaucoup plus large et plus permissif en matière d’altérité et de lien.
Conclusion
L’homosexualité st une chance pour les personnes hétérosexuelles de sortir de leur clôture et d’entrer en dialogue sur le plan de leur sexualité avec un tout autre qui ne lui est pas totalement accessible.
Ouvrir son intelligence et son cœur aux personnes homosexuelles, entrer en dialogue avec elle élargira pour chacun la vision qu’il a de la sexualité, du couple, de ce qu’est un homme et une femme, de leurs rôles dans le couple.
Percevoir l’autre comme objet sexuel complémentaire (la vision hétérosexuelle catholique dans le mariage) a quelque chose de très déshumanisant et destructeur pour nos rapports interpersonnels.
Faire du sexuel biologique un déterminant exclusif de l’économie identitaire et de l’acte moral a quelque chose de profondément choquant.
Les personnes homosexuelles ont, si on veut bien y regarder de plus près, une position privilégiée pour aider la communauté humaine à se libérer des stéréotypes sexuels d’identification et apportent ainsi de nouvelles possibilités d’amour et d’amitié entre les sexes.
La vision hétérocentrée de la personne incomplète, inachevée qui a besoin d’un autre pour se réaliser me semble en totale opposition avec l’amour chrétien qui procède d’une plénitude et non d’un manque ou d’un besoin.
Il n’y a pas que la complémentarité qui attire; percevoir l’autre comme complémentaire ET ENTIER, un être qui, différent de moi, mérite de marcher à mes côtés, d’entrer dans ma vie comme égal a quelque chose d’une plus grande humanité.
Voilà ce que les lesbiennes et les gays nous enseignent. Cette dose de narcissisme, ce quantum d’homosexualité en nous est ce qui rend l’être humain capable d’être attiré par l’autre. Si l’on devait un jour supprimer toute tendance homosexuelle et voir l’homosexuel disparaître de la surface du globe, on aurait à craindre la disparition d’un élément catalyseur du développement des relations sexuelles et de leur évolution vers une réalité plus profonde et plus humaine.
Accepter notre propre homosexualité à travers celle de ceux et celles qui la manifeste est la réponse au défi de l’altérité, une condition incontournable pour bâtir une société qui s’extirpe un peu plus chaque jour de sa violence fondamentale née de la différence.
Deux ouvrages intéressants à lire :
De Stéphane Joulain : « Combattre l’abus sexuels des enfants : qui abuse, pourquoi, comment soigner ? ».
De Christine Pedotti : « Qu’avez-vous fait de Jésus? ».
Texte de Rumi
L’être humain est un lieu d’accueil,
Chaque matin un nouvel arrivant.
Une joie, une déprime, une bassesse,
Une prise de conscience momentanée arrivent
Tel un visiteur inattendu.
Accueille-les, divertis-les tous
Même s’il s’agit d’une foule de regrets,
Qui d’un seul coup balaye ta maison
Et la vide de tous ses biens.
Chaque hôte, quel qu’il soit, traite-le avec respect,
Peut-être te prépare-t-il
À de nouveaux ravissements.
Les noires pensées, la honte, la malveillance
Rencontre-les à la porte en riant
Et invite-les à entrer.
Sois reconnaissant envers celui qui arrive
Quel qu’il soit,
Car chacun est envoyé comme un guide de l’au-delà.
Rumi – Konya Anatolie – 1260
Échanges :
Jean-Louis : Que faire face à un groupe qui ne veut rien entendre?
Il y a des endroits où on ne peut pas parler. Face à un mur, cela ne sert à rien. Il faut l’accepter. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Il ne faut pas avoir la prétention de « convertir » l’autre. Peut-être voir si une personne du groupe est plus ouverte pour discuter à part.
Julien : À quel point faut-il remettre en cause l’église sur le thème de la sexualité?
Un des points important c’est d’avoir l’avis des femmes sur ces questions dans l’Église.
La vision chrétienne sur l’anthropologie a été transmise de siècles en siècles, notamment avec Thomas d’Aquin et il faut savoir qu’à l’époque, Thomas d’Aquin croyant que l’enfant était contenu dans le sperme… On sait aujourd’hui que la sexualité est structurante pour la personnalité. Hétérosexualité et homosexualité devraient avoir des valeurs équivalentes.
Paul : l’Église va y être contrainte ou devra disparaître.
Luis : On parle beaucoup des prêtres, mais l’Église c’est nous tous, et les prêtres pensent tous de manière différente.
Agnès : Nous avons tous des zones d’ombre et de lumière. Il y a du bon et du moins bon en chacun et on ne peut pas ne voir que le mauvais. (Cf le livre de Stéphane Joulain)
Monique : La sainteté n’est pas la perfection.
Claude : dans les choses à faire, il y a aussi notre regard à changer sur l’Église. Considéré qu’on est dedans et que même si elle le fait lentement, elle évolue.
Chantal : Il y a parfois un amalgame entre pédophilie et homosexualité.
Il y a 85% d’actes de pédophilie sur des filles et dans les familles. Il faudrait mieux parler de pédocriminalité. La pédophilie est une orientation sexuelle (l’amour des enfants).
Isabelle : Je suis théologienne et je donne des formations sur l’anthropologie. Comment je fais pour passer de la violence à la force positive? On en sort avec cette énergie. Écouter des gens qui ont travaillé sur le sujet. Le passage, c’est le dialogue.
Nathalie : la réappropriation de la science par l’église. L’église devrait plus s’occuper des évangiles que de sexualité.
On doit regarder la part d’ombre, elle nous structure. La sexualité c’est la part d’ombre de l’Eglise.
Le livre Sodoma : Ce livre révèle la face cachée de l’Église. L’enquête n’est pas exagérée et montre une certaine réalité, celle de l’hypocrisie et de l’homophobie. Sodoma décrit le problème de la projection : je ne peux pas vivre cette perfection de l’hétérosexualité prônée par l’Église, alors je la rejette. Et je vis une homophobie intériorisée.